Subscribe

Présuppose et accepte

Il y a des années j’ai discuté avec la grande philosophe et écrivaine Kathleen Dean Moore sur la raison pour laquelle il n’est pas toujours heureux d’appeler la terre notre mère. Je lui ai d’abord demandé quels étaient les mensonges que nous racontions à nous-mêmes concernant notre relation à la terre.

Elle a répondu: « Dans le but d’être dans la démesure: que les êtres humains sont séparés du – et supérieurs au – reste de la création naturelle. Que la terre et toutes ses créatures ont été conçues pour servir les desseins humains. Qu’une action est dans son bon droit si elle œuvre pour le plus grand bien-être du plus grand nombre de gens. Que les entreprises sont surtout responsables envers leurs actionnaires. Que nous pouvons tout avoir – et sans cesse abîmer la terre et l’océan – sans jamais en payer le prix. Que la technologie trouvera un moyen de résoudre tous les problèmes, même ceux créés par la technologie. Que cela fait sens d’interrompre la course des saumons vers l’océan avec des barrages, pour que cette céréale puisse se développer. Que vous pouvez empoisonner cette rivière sans empoisonner vos enfants? Et le plus gros et le plus dangereux mensonge: que la terre est infinie et infiniment résistante. »

Je lui ai demandé pourquoi c’était si dangereux.

Elle a dit: « On fait des dégâts maintenant – dans l’atmosphère, dans les océans, au climat – qu’on ne sait pas réparer. Quand la terre fonctionne comme un tout, elle est résistante. Mais une fois les dégâts faits, la terre n’arrive plus à s’en remettre. Dans un monde affaibli, si nous nous tournons contre la terre, si nous déversons des fertilisants chimiques sur des champs épuisés, si nous assainissons les eaux usées avec des poisons, si nous construisons plus de barrages, si nous consommons plus de pétrole, mettons au monde plus d’enfants, si nous ne reconnaissons jamais que nous n’avons aucune chance de nous en sortir, si nous n’admettons jamais tout ce que nous avons causé comme dégâts sans avoir su comment les réparer, alors, qui peut nous pardonner? »

J’ai demandé: « Pourquoi nous est-il si difficile de comprendre tout ça? Les preuves sont flagrantes autour de nous. »

Sa réponse: « Notre façon de penser, et même la façon dont nous parlons, renforce la fiction depuis un bon moment. Réfléchis à la métaphore qui fait de la planète notre mère, et au slogan ‘Aimez votre mère’. Qu’est-ce que ça signifie?  Ça pourrait simplement vouloir dire que les humains sont créés par les éléments qui viennent de la terre. (…)

Je pense que toute la métaphore du slogan ‘aimez votre mère’ est juste un souhait. On peut compter habituellement sur les mères pour nettoyer ce que leurs enfants salissent. Elles sont chaleureuses et leur pardonnent: les mères vont suivre leurs enfants en pleurs dans leur chambre, leur caresser les cheveux, même si le chagrin n’est causé que par un mauvais comportement envers elles. C’est joli de penser que la planète est une mère qui va nous suivre pour réparer les dégâts que nous causons, nous protéger de nos bêtises et nous pardonner la monstrueuse traitrise. Mais même les mères s’épuisent et s’usent. Alors qu’arrivent-ils à leurs enfants?

Il y a une pub d’une compagnie pétrolière qui montre l’image de la planète avec marqué en dessous ‘La Terre Mère est gaillarde.’ »

J’ai dit: « La certitude que la planète est invulnérable. »

Elle a répondu: « Une dangereuse certitude. J’ai écrit une lettre à la compagnie pour leur dire que ‘si la Terre était réellement votre mère, elle vous aurait attrapé d’une main ferme et vous aurait maintenu la tête sous l’eau jusqu’à ce qu’aucune bulle n’en sorte.’ Justice cosmique. »

Il n’est pas surprenant de constater que les grandes traditions du pacifisme découlent des grandes religions de la civilisation: Christianisme, Bouddhisme, Hindouisme.

J’ai récemment vu une interview d’un militant pacifiste de longue date, Philip Berrigan – un des derniers avant sa mort – dans laquelle il affirme plus ou moins fièrement que le pacifisme spirituel n’a pas pour but de changer les choses du monde physique, mais repose sur le Dieu chrétien pour remédier aux choses. L’intervieweur a demandé: « Que dites-vous au mouvement Plowshares qui affirme que vos actions n’ont pas eu d’effets tangibles? »

Berrigan a répondu, et notez bien ses deuxième et troisièmes phrases: « Les Américains veulent voir des résultats parce qu’ils sont pragmatiques. Dieu n’a pas besoin de résultats. Dieu a besoin de la foi. Vous essayez de faire appliquer la justice sociale, et vous le faites avec amour. Vous ne menacez personne ni n’agressez le personnel militaire pendant ces actions. Vous vous tenez debout et attendez de vous faire arrêter. »293

Je ne parle pas pour Berrigan, mais je veux voir des résultats parce qu’on est en train de tuer la planète.

De toute façon, je pense que Berrigan a tout faux. S’il y a un Dieu chrétien, et si on considère quelques milliers d’années d’histoire, il n’est pas (…) du côté de la lumière. De ce que je peux en voir, je ne suis pas sûr de vouloir compter sur un Dieu chrétien pour stopper la destruction environnementale.

Le Dalai Lama a pris un point de vue sur la violence plus intelligent, utile, et mieux formulé. Il garde bien, en plus en tête ses prémisses et essaie de les citer quand il peut. Il a dit: « La violence est comme des médicaments forts. Pour une certaine maladie, cela peut être utile, mais les effets secondaires sont énormes. À un niveau pratique, c’est très compliqué, il vaut mieux donc par sécurité éviter les actes de violence. » Il a continué ensuite: « Il y a un point très pertinent dans la littérature Vinaya qui expose les codes disciplinaires que doivent observer les moines et nonnes pour conserver la pureté de leurs vœux. Prenez l’exemple de l’un d’eux confronté à une situation où ils n’ont que deux alternatives: ou prendre la vie d’une autre personne, ou donner la sienne. Sous de telles circonstances, donner sa vie pour éviter de prendre celle de l’autre est justifié car le contraire transgresserait un des quatre vœux cardinaux. » Sa phrase d’après révèle tout le problème, et ramène cette discussion au début: « Bien sûr, cela présuppose que cette personne accepte la théorie de la réincarnation; sinon ce serait vraiment stupide. »294


293 Elliott Rachel J., « Acts of faith: Philip Berrigan on the necessity of non violent resistance. », The Sun n°331 07/2003, 12, les italiques sont dans l’original.
294 Golleman Daniel,
Healing Emotions, Shambhala, Boston, 1997, p.177.

Traduction: derrickjensenfr.blogspot.ca

Filed in Français
No Responses — Written on June 15th — Filed in Français

Comments are closed.